« Cohérent avec ses options de base » : René Naba (2ème partie)

La semaine dernière, nous avons publié la première partie d’un entretien avec le journaliste René Naba – enregistré à Paris le 18 septembre – voici le deuxième volet de cette conversation qui aborde, entre autres thèmes, plus directement celui de la francophonie : splendeurs, misères et illusions perdues ! Bonne lecture.

IIe partie : Francophonie

Est-ce que l’expression « Misères francophones » fait sens pour vous, et si oui, pouvez-vous nous donner des exemples concrets de cette misère ?

Qu’on ne s’imagine pas que la langue française est une langue universelle ; elle l’était. Mais aujourd’hui, dans le classement linguistique des locuteurs, la France arrive en 12ème position. Il y a 400 millions de locuteurs arabes, et 120 millions de francophones. Les principaux gisements de la francophonie au XXIème siècle, c’est l’Algérie, le Maroc et le Sénégal, c’est-à-dire les pays de destination des charters de la honte. Ce qui devrait être la source de pérennité du rayonnement culturel fait l’objet de stigmatisations, et ça c’est une misère morale francophone.

La France est le seul pays qui est traversé périodiquement par le débat sur l’identité  nationale. Cela traduit une déliquescence morale et un dévoiement de l’idéologie française. La France est le seul pays au monde où l’immigration est une immigration de créance. Prenons l’Allemagne. Il y a deux millions de Turcs. L’Allemagne et la Turquie n’ont jamais été en guerre l’une contre l’autre, elles étaient des alliées pendant la Première Guerre mondiale. Il y a une délocalisation. Au lieu de transporter les industries allemandes en Turquie pour traiter à bas prix, on a importé des travailleurs turcs. C’est un rapport de complémentarité économique, un partenariat. Y a trois grands pays qui abritent une population arabo-musulmane : l’Allemagne, la Grande-Bretagne – il y a eu des Indo-Pakistanais qui ont contribué à l’effort de guerre anglais avec une contribution paritaire blancs/basanés – et la France.

Si vous parcourez l’histoire de France, la dernière grande victoire française – un Français ne vous racontera pas ça, parce qu’il ânonne son histoire de France ; nous on fait une lecture fractale. Quelle est la dernière grande victoire militaire française ? Austerlitz, 1805. Après c’est Waterloo, Fachoda, l’expédition du Mexique, Sedan … Quand est-ce que les Français ont renoué avec la victoire ? 1918 ! Mais en 1918 khalass, on était là déjà, les Arabes étaient là. 560 000 Arabes et Africains sont venus à Verdun. 73 000 morts ! Qu’est-ce qu’ils avaient voir dans cette guerre entre blancs ? 73 000 morts – Muslim Massihi: l’équivalent de la population de Vitrolles, d’Orange, et de Dreux, les fiefs du FN. Après on les a laissés tranquilles les Français, entre eux. 1939, hop ils recommencent ! Ils ont eu la défaite de nouveau ! Donc on est revenus ! Et ils ont eu la victoire. On était 500 000. Il y a eu entre les deux guerres mondiales 159 000 Arabes et Africains tués ! C’est quoi 159 000 ? Ils n’en ont rien à foutre des Français ces hommes ! C’est pas leur guerre d’indépendance ! Qu’est-ce qu’ils ont fait après la guerre ? Ils ont fait Sétif ! Le jour de la victoire, Madagascar… En un an et demi, y a eu 250 000 morts ! Les types qui ont aidé à la libération de la France, on leur a tué 250 000 hommes ! 250 000 + 123 000… et là hamdulillah, on a eu 400 000 morts comme ça ! Tu comprends pourquoi la misère est francophone ? Et c’est pas fini ! On n’a pas donné l’indépendance ; il y a eu Dien Bien Phu, y a eu l’Algérie, on a changé de république… parce qu’ici, à chaque fois qu’il y a un papier qui sent mauvais, on change de sigle. On blanchit. Elf était lié à des scandales, on a fait Total, Vivendi à la place de Compagnie générale des Eaux ; RPR pourri, on a mis l’UMP. Y a eu Sedan, on a fait la IIIème République ; y a eu Montoire, la défaite de 40, on a fait la 4ème ; y a eu Dien Bien Phu et l’Algérie, on a fait la 5ème. La France, c’est le seul pays au monde où il y a des Pieds-noirs. C’est quoi les Pieds-noirs ? C’était des blancs qui étaient colons ! Ils ont un lobby et ils ont un droit de mémoire ! Il n’y a qu’en France qu’on trouve ça ! C’est le seul pays qui a occupé Haïti, et qui a demandé de l’argent quand il a consenti à se retirer. 90 millions or, l’équivalent de 50 milliards d’euros actuels ! C’est le seul pays dont la classe politique est entretenue par des pays sous-développés – le Congo, la Côte-d’Ivoire qui font partie de la Françafrique. C’est une misère parce que ce sont les peuples qui en pâtissent, ce sont les peuples africains qui s’en trouvent sinistrés !

Quelle est selon vous la fonction politique de la francophonie, notamment dans les pays arabes ? Quel regard est-ce que vous portez sur des événements comme les jeux de la Francophonie à Beyrouth ?

Ah la la ! Ce sont les beaux atours d’une vieille dame : il ne reste plus rien. Alors qu’en 1960, 70% de la population libanaise était francophone, maintenant on en est à 29%. Le rapport est complètement inversé, maintenant c’est les Anglais qui sont là. C’est quoi les Français ? Comment voulez-vous espérer quelque chose de la France ? Le Liban, c’est le seul pays du monde arabe qui est présidé par un Chrétien ! Et le protecteur des Chrétiens d’Orient –la France- a organisé le boycott de Lahoud qui était accusé à tort d’avoir assassiné Hariri, parce qu’il avait des relations d’affaires avec Chirac dont il est le pensionnaire posthume. Comment voulez-vous espérer que la France ait un crédit quelconque dans le monde ?

Maintenant, la France est utilisée dans le Golfe pour servir de contrepoids à l’Amérique. Vous avez Mozah, l’émir du Qatar et Sarkozy, comme auparavant il y avait Chirac et Hariri. Cela permet à bon compte, pour le Qatar qui est complètement aliéné à l’Amérique parce qu’il y a une base opérationnelle de l’arc de l’Islam, l’USCENTCOM (United States Central Command) à Doha. Cela lui permet de donner une image un peu glamour. Et Abu Dhabi pareil. La relation avec la France, ca permet de se blanchir, comme Obama en Amérique, un Noir qui est à la tête de l’Amérique mais qui fait la politique des blancs. Ils blanchissent à peu de compte en politique. La France est donc l’Uncle Ben’s de la politique internationale des pays du Golfe.

Sous quelles conditions la francophonie peut-elle faire l’objet d’un usage critique, et éventuellement émancipateur ?

Si on se réfère à  des personnages mythiques comme Aimé Césaire, Franz Fanon, c’était une époque de libération. Maintenant, la langue française, quand elle est incarnée dans sa diversité par Ben Jelloun ou Amin Maalouf, c’est pas ce qu’il y a de plus pointu dans le combat des droits de l’homme.

Cette orientation que l’on appelle « la politique arabe de la France » a-t-elle jamais existé ? Et si oui, pouvez-vous nous en donner des illustrations ?

Si l’on considère que c’est de Gaulle qui a été l’initiateur de la politique arabe de la France, nous devons nous rappeler que c’est à l’époque de son gouvernement qu’il y a eu Sétif, le plus grand massacre d’Arabes.

En fait, la France a été médiatiquement pro-arabe, mais stratégiquement pro-israélienne.

Les Arabes ont fourni au cours des deux guerres mondiales de 400 à 500 000 combattants qui sont morts pour la France, pour l’indépendance de l’empire. C’est une immense contribution. Et la France a jugé bon de remettre le district d’Alexandrette à la Turquie qui était son ennemie durant la Première Guerre mondiale, mais pour qu’éventuellement dans une prochaine guerre, la Turquie ne soit pas avec l’Allemagne. Or la France en 1939 s’est effondrée, la Turquie a gagné Alexandrette gratos. Y a eu 500 000 Arabes sacrifiés pendant la Seconde Guerre mondiale ; pour les remercier on les ampute d’un pays. Deuxième Guerre mondiale, il y a eu Sétif. Neuf ans après, il y a eu l’expédition de Suez ; Israël, la France et l’Angleterre contre l’Egypte, ia3ni c’est une  alliance de qui?  Des rescapés du génocide hitlérien et des tortionnaires des Juifs –les Français durant la guerre. Ils ont été combattre qui ? Les Arabes qui sont morts pour libérer la France du régime nazi et les Juifs de leur persécution. C’est pas fini ! Entre temps, on a donné la puissance nucléaire à Israël. La politique française consistait juste à un décloisonnement des services de renseignement. Lorsque de Gaulle est arrivé au pouvoir, il y avait au ministère de la défense, un directeur de cabinet, et à côté du directeur de cabinet, il y avait le chef des achats d’armes israéliens ; il n’était pas à l’ambassade, il était là. Donc il voyait tout le monde. N’importe quelle formation qui arrivait, elle passait par Israël ; lorsque la Syrie a voulu acheter des armes à la France, y a eu un veto ! Même en disant : « Mais on était sous mandat français ! », ce sont les Israéliens qui se sont opposés ! La politique, ça a été la rupture de la relation fusionnelle qu’il y avait entre les services français. C’est tout. Mais ils ont eu en échange tout le marché ; ca a permis à l’industrie française d’être compétitive pendant 20 ans. L’industrie d’armement et l’industrie pétrolière étaient compétitives grâce aux Arabes ; c’était un marché captif. Tous les contrats d’armes… Qu’est-ce qu’il y a maintenant ? 90 milliards de dollars ont été conclus entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis. Quel est le grand contrat d’armes entre le monde arabe et la France ces dix dernières années ? Aucun. C’est quoi la politique arabe de la France ? Quand tu vois que, sous Nicolas Sarkozy, tous les postes sensibles sont pris par des membres du judaisme institutionnel (Juifs estamplillés CRIF) ou des pro-israéliens. Roger Cukierman; à l’époque président du CRIF, s’était même opposé, avec beaucoup d’insolence, à la nomination d’un arabe au Quai d’Orsay, en l’occurence, Hubert Vedrine, qui n’a rien d’arabe… Balzouri-Hoffenberg, elle est Américaine et Française – binationale. Elle est vice-présidente de la Ligue des femmes juives. Non seulement tu es Américaine, mais tu es d’une organisation de lobbying pro-israélien en Amérique pour suivre pour le compte de la France les négociations économiques entre israéliens et palestiniens. A croire qu’il n’y a que les groupes de pression pro israéliens d’Amérique qui soient compétents pour cela! Et Arno Klarsfeld, ancien réserviste de l’armée israélienne, nommé en pleine guerre de destruction israélienne de Liban, conseiller du ministre de l’intérieur… Ce n’est pas de la provocation, cela? Faut-il faire son service dans l’armée israélienne pour être désormais crédible ?! François Zimmeray, conseiller politique du CRIF, ambassadeur aux droits de l’Homme à Genève. Dov Zerah ! Qui on a éliminé ? Richard Labévière, journaliste apporteur de scoop à Franc 24, éliminé par Christine Ockrent, la compagnie de Kouchner, Bruno Guigue, qui au fond n’a dit rien par rapport de plus grave que ce qui s’est passé à Ghaza… Alors c’est quoi l’histoire ? La politique arabe ? C’est un leurre du complexe militaro-industriel. La France a été médiatiquement pro-arabe, mais stratégiquement, substantiellement, pro-israélienne. La preuve. La place Fontenoy est devenue la place Isaac Rabin, celle de l’UNESCO, les jardins de Bercy. L’esplanade Ben Gourion. Il y a la place d’Israël, près de Wagram, dans le 16 arrondissement. Et en échange qu’est-ce que tu as ? Tu n’as ni la rue Abd el Nasser, ni rien. Pourtant, Arafat c’est un prix Nobel de la paix. Même pas ça. A la limite, si vous allez quai de la Tournelle, il y a une petite place Mahmoud Darwich ! Mais faut pas se leurrer ! Bien sûr, il y a une place Mohammed V devant l’Institut du Monde Arabe, mais c’est parce qu’il fallait rendre hommage à Ben Barka.

En France, il n’y a pas de courant néoconservateur. Il y a eu une droitisation de la pensée, et maintenant, c’est une vertébration christiano-sioniste de la pensée stratégique néo-conservatrice américaine. Une vertébration christiano-sioniste de l’axe israélo-américain qui sous-tend la pensée stratégique néoconservatrice occidentale. Pour dire crûment les choses, le Liban a été comme foyer chrétien en terre d’Islam, comme lieu de transactions de l’Europe en pleine expansion et du monde musulman représenté par le monde arabe à l’époque, pour favoriser l’expansion coloniale de l’Europe. C’était là que ca se passait ; quand on parlait du monde arabe, on venait au Liban, et les gens du Golfe qui étaient ploucs, ils venaient au Liban s’habiller et apprendre les bonnes manières. Le Liban, c’était le hub, le sas de sécurité. Au XXème siècle, ça a changé : Israël. Israël se conçoit comme la pointe avancée face à la barbarie.

Il y a plusieurs articles sur votre site consacrés aux media dominants, notamment à cette nuisance mentale qui porte le nom de Philippe Val en France et au journaliste Gebran Tuéni que vous avez qualifié de « martyr du journalisme de complaisance » ; quel état des lieux faites-vous de ces pratiques, et par quels moyens pouvons-nous y résister ?

La pensée critique ne peut être présente que sous la forme d’un journalisme virtuel, le journalisme internet. Si se concrétise le projet d’achat du Parisien par Dassault, il n’y aura plus aucun journal critique en France, à part le Canard enchainéBakchich, et Le Monde diplomatique. Si vous voyez l’organigramme de la presse française, tous les grands vecteurs sont la propriété de conglomérats adossés au marché d’Etat. Ailleurs, les gens étaient capitalistes et achetaient des journaux à leurs risques et périls, là, ce sont des gens qui se sont enrichis sur des marchés d’Etat – Bouygues avec TF1, Dassault avec l’armement, Lagardère avec l’armement – et qui ont maintenant acheté les journaux qui pèsent sur les politiques de l’Etat. Donc, ils se sont enrichis de l’argent des contribuables, pour peser sur les contribuables de nouveau. La pensée critique ne se développe que dans le domaine de l’électronique. Vous savez, en 6 ans, il y a 15 millions de lecteurs qui ont abandonné les journaux. Est-ce que vous m’avez vu citer un journal francais, à part RILI, dans mes lectures ? La dernière fois que j’ai vu TF1, c’était pour le match France/ Sénégal, au mondial de Séoul, c’est tout ! La seule émission regardable, c’est Taddeï sur France 3, parfois Arte, quand ce n’est pas Daniel Leconte. Parce que lui, il ravage. Ah j’aimerais bien savoir, lui et Philippe Val, j’aurais bien aimé que quelqu’un les interroge après l’histoire des caricatures du prophète, s’ils n’étaient pas heureux de voir l’autodafé du Coran en Amérique ! ça c’est le prolongement de leur action. La liberté d’expression, la liberté d’agissement, quand elle est d’une manière aussi démagogiquement populiste, elle entraîne ces excès-là. Cela dit, c’est condamnable, de la même façon que les musulmans auraient dû condamner la destruction des buddhas de Bâmiyân.

En 2002, vous écrivez un essai intitulé Du bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français ; comment pourriez-vous résumer cette imaginaire, ces effets en France, mais aussi hors des frontières hexagonales ?

Avec l’apparition du mot sauvageon, je me suis dit : « Mais c’est bizarre ce pays ; ils commencent le siècle en stigmatisant ceux qui sont morts pour lui avec le terme de  bougnoules et après on les stigmatise avec le terme de sauvageons, alors qu’ils venaient de remporter le mondial, qu’ils avaient des succès dans le sport, dans la musique… » C’est un pays qui stigmatise ceux qui le relèvent ; c’est une forme d’ingratitude ! Je me suis intéressé à la façon dont les Français se posaient au monde. C’est un  pays quand même qui a fait des zoos humains ! La Vénus callipyge dont on avait trouvé que les appareils génitaux étaient tellement exorbitants qu’il fallait la mettre dans le formol, les Français l’ont exposée pendant longtemps ! Et lorsque l’Afrique du Sud est devenue indépendante, et que Mandela a réclamé la restitution de la dépouille pour l’honorer, les Français étaient tellement honteux qu’ils ont passé un siècle à donner des leçons d’universalisme et de respect de la liberté au reste du monde. Ils ont renvoyé le corps, enfin ce qu’il en restait, à la veille du 2ème tour des élections présidentielles de 2002, en catimini, le jour même de la grande manifestation pour faire barrage au fascisme le 1er mai 2009.

Liberté, égalité, fraternité… la France est le seul pays du monde à avoir stigmatisé  ses étrangers. C’est le seul pays qui a fait un code noir de l’esclavage ! C’est un pays qui a érigé, codifié la ségrégation !

[à suivre : la troisième partie de l’entretien]

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