La censure de l’Orient Littéraire

Quelle bonne occasion de reprendre l’écriture sur ce site trop longtemps resté négligé. Bonne occasion, dans le sens de « fortunée », vu qu’elle me permet de répéter ce que j’ai essayé de faire quand j’ai proposé cette initiative de misère et qui était de dénoncer comment sous couvert de slogan humaniste, d’impératif de liberté d’expression se cache la tyrannie d’une morale supposée supérieure et incroyablement intolérante à toute autre expression socio-culturelle.

L’Orient-Le-Jour publie chaque mois son spécial « Orient littéraire , un mélange d’interviews d’écrivains étrangers pour la plupart (ou libanais résidant à l’étranger) partageant leurs pensées sur des thèmes variés comme la pluie, le soleil, et l’élevage d’escargots. En fait, le thème « littéraire » qu’on nous sert à toutes les sauces, c’est celui de « l’exil ». On aura l’occasion de reparler de tout ça. Cette fois-ci, on cherche quand même à faire sursauter l’esprit militant qui veille dans la tête de chaque libanais. Le thème central travaillé pour le numéro du 4 février 2010 est celui de « la censure », un sujet qui hante les nuits des journalistes de l’Orient-Le-Jour, grands activistes internationaux.

Dans ce spécial volet « culturel »: lieu de débat des « grandes idées littéraires », Mazen Kerbaj, un dessinateur, s’est vu refuser la bande dessinée qu’il a l’habitude de proposer. Refuser, censurer, interdire, écarter? Quoi? Et dans un volet qui se propose de dénoncer la censure dans « le pays »? Le dessin de Kerbaj représente une conversation à Beyrouth entre deux femmes d’un certain âge qui discutent de leur femme de ménage. L’une raconte à l’autre que « sa fille » qu’elle croyait être une Philippine s’avère être en fait éthiopienne, et que d’après cette découverte, elle devrait rajuster son salaire.



Ce qui est magique dans les dessins, l’écriture, et toute ces pratiques, c’est qu’on peut tirer des interprétations à l’infini. Au lecteur de choisir. Le rédacteur en chef de L’Orient Littéraire prétexte une blague inopportune au moment où le pays se relève d’une catastrophe « nationale », celle du naufrage d’un avion de l’Ethopian Airlines au large de la côte libanaise, et qui n’a vu aucun survivant. D’autres comme moi par exemple y voient une critique tellement pertinente de l’indifférence et du mépris total qu’ont certaines personnes vis-à-vis des gens qui travaillent chez eux, que dans le contexte de l’accident survenu il y a quelque temps, le pointer du doigt est ce qu’il y aurait de plus urgent à faire. Surtout que le crash de l’avion avait, à l’époque, provoqué plusieurs réactions quelques peu racistes. Certains organes médiatiques par exemple s’étaient contentés de publier les noms des libanais présents dans l’avion en oubliant l’existence des Éthiopiens.

L’histoire n’est pas finie. Magnanime, le rédacteur en chef de l’Orient littéraire propose à Kerbaj de présenter d’autres dessins. Ce dernier, malin, cherche dans ses vieux papiers pour en sortir deux qui furent censurés par l’Orient-le-Jour en 2004. La rédaction centrale du journal de l’Orient-le-jour, en l’occurrence le pas fameux du tout Nagib Aoun, découvre ce que Kerbaj essaie de faire et s’oppose encore une fois à la publication des dessins. Résultat, Kerbaj est bel et bien censuré dans un journal qui veut dénoncer la censure.

Comment pareille absurdité a-t-elle pu avoir lieu? C’est en regardant comment le sujet de la censure est traité par les deux articles de première page qu’on découvre une logique bien précise de ce que ce concept de censure représente. La censure ici n’émane apparemment que d’une institution étatique, la Sûreté générale. Rien sur les subtilités d’autres pratiques de censure: censure sociale, auto-censure, etc. qui seraient pas seulement plus virulente, mais toucheraient des sujets bien plus épineux que ceux auxquels s’attaque la Sûreté.

Par exemple, un article paru dans la revue française Le Point sur « le problème » de la Burqa, nouveau fétichisme qui torture l’esprit des Français, a pour une raison ou pour une autre attiré l’attention de la Sûreté qui a fini par couper certaines pages du dossier. Si « les ciseaux de la Sûreté générale s’acharnent » sur ces pages, pour emprunter l’expression d’Alexandre Najjar dans son éditorial cela n’empêche pas ce dernier de presque prescrire la censure à « des feuilles de chou locales financés par l’étranger ou par des groupuscules extrémistes qui véhiculent des fausses informations alimentent les rumeurs, travestissent la réalité, exacerbe les antagonismes, et multiplie les propos injurieux ou racistes. » C’est bizarre, mais c’est exactement ce qu’on pourrait dire, d’une manière moins pompeuse de l’Orient le jour et ses potes. Qui niera que ce journal est une feuille de chou?

Najjar s’insurge contre un « hebdomadaire arabophone » qui aurait critiqué Bernard Kouchner en précisant qu’il était juif et que donc il se pourrait qu’il « sert la politique d’Israel au Moyen-Orient ». C’est pas des choses qui se font en Occident voyons: mentionner le fait que la religion d’une personne pourrait insinuer une certaine affinité politique! Najjar n’aura jamais les couilles de nommer cet hebdomadaire, mais dénoncera bêtement « ses propos honteux et antisémite ». Quel idée! Juif partisans d’Israel… ça s’est jamais vu! Najjar reprend sans les macher les arguments dont nous tartinent Israël et le reste des médias dominants américains depuis des décennies. Au moins, Najjar aura bien compris la leçon donné par le discours dominant de « l’Occident ».

Le plus important pour Najjar n’est pas de condamner la censure en tant que tel mais de pointer du doigt le fait que cette Sûreté est une institution anachronique qui ne vit pas avec son temps, elle est « attardée », à la masse, elle ne comprend pas qu’on peut tout voir sur Internet. Il semble que c’est ça qui préoccupe la pensée de nos intellectuels militants de l’Orient littéraire. Mais si c’est ça, c’est qu’elle n’est pas dangereuse cette Sûreté vu qu’on peut très rapidement découvrir ses tours! Pourquoi consacrer tout un dossier à ne condamner que ses bévues?

Parce que nous autres civilisés, nous autres distingués, avons compris ce qu’on censure et ce qu’on ne censure pas. C’est ça la critique en fait, la Sûreté générale n’est pas juste en train d’interdire quelque chose: d’ailleurs, l’acte d’interdiction en tant que tel n’est pas tellement important vu le sujet contre lequel elle s’acharne, un sujet idéalisant une conception bénigne des réalités sociales, sujet qui met en relief les conflits idéologiques qui occupent les « grand débats » du « monde moderne ». La Burqa, les juifs, l’antisémitisme, la grandeur des nations, etc., des sujets dont nous nourrissent les médias dominants au mépris de la réalité de tous les jours: par exemple, qui déjà a vu une burqa ou un juif « dans la mosaïque religieuse au Liban »? Quelque part, la Sûreté n’est que victime de ce que les médias et autres producteurs d’information nous proposent.

Par contre, le dessin de Kerbaj qui jette aux lecteurs de L’Orient leurs quatre vérités en pleine figure, abordant un sujet qui touche chaque libanais jusqu’à l’intérieur de sa maison, ça se censure! Il y a censure pathétique, celle de la sûreté, et il y a censure intelligente, avertie, celle de l’Orient. Combien paraît misérable en rétrospective l’article de première page de Michel Hajji Georgiou et ses élucubrations sur « Dame Anastasie ». Preuve que la censure est « archaïque » ce prénom est doublement passé de mode: non seulement c’est un prénom médiéval, mais les recherches assidues du journaliste indiquent aussi qu’il est largement répandu parmi les femmes de 82 ans.

Alors c’est pour ça qu’on fait référence à Dame Anastasie! J’ai vraiment mis beaucoup de temps à comprendre la logique. On sait que c’est un nom donné à la censure dans les traditions intellectuelles françaises, donc ça vaut le coup de l’utiliser. Pour ceux qui ne savent pas, et étant donné que Hajji Georgiou ne nous l’explique pas, Dame Anastasie est le nom donné à la censure par des journalistes Français au dix-neuvième siècle, surnom inspiré par le pape Anastase 1er qui d’après l’histoire officielle occidentale a « inauguré la censure » en interdisant tout écrit qui ne se conformait pas à la cosmologie chrétienne. Ce pape a seulement régné deux ans (de l’an 399-401), pour être ressuscité au dix-neuvième quand il était coutume de puiser dans le passé « pré-moderne » pour la construction de mythologies littéraires. Toujours est-il que sur Internet, là où Hajji Georgiou est allé trouvé son inspiration, il n’y a pas grand chose sur Dame Anastasie (c’est peut-être pour ça qu’il se rabat sur son analogie de prénom?), une métaphore qui s’avère pas très utilisée par la « communauté francophone » à l’exception de nos lumières locales. Que de stratégies d’écriture pour se distinguer, pour utiliser la langue comme promotion sociale et culturelle!

Au final, la stratégie de ce type « d’intellectuel », le type l’Orient-le-Jourien, est de chanter les louanges de la morale universelle, tout en restant derrière les barreaux de cette pensée qui le flatte, qui le dorlote doucement, tout en se plaçant en déni total de ses réalités sociales. La censure qu’on dénonce est toujours d’un ordre « politique » qui survole les contradictions et les vérités qui font vraiment rougir: On s’en prend à la censure que pratiquait les syriens pendant « l’occupation », ou pire même, le fait que le Hezbollah voulait que le journal d’Anne Frank ne soit pas donné à lire à l’école. Grand problème qui touche les « libertés » du citoyens libanais… parce qu’en fait avoir à lire Anne Frank n’est pas en tant que tel un acte de propagande? On comprend mieux pourquoi l’esprit libanais, arabe ou autre restent colonisés culturellement malgré la fin des mandats et de l’ère coloniale.

À y regarder de plus près, la censure étatique attaque ou bien des questions politiques sécuritaires ou bien des questions « de mœurs sociales ». En ce qui concerne ces dernières, toutes les sociétés du monde imposent leurs limites, leurs interdictions. Si la censure joue ce rôle au Liban, il faut bien sûr pouvoir discuter de ce qui devrait être permis et de ce qui ne devrait pas l’être, sans avoir à se scandaliser de l’existence même de ce genre de censure quel que soit l’agent qui l’autorise. L’idée est que même si l’on réforme ce type d’institutions étatiques (et il faudrait probablement le faire vue l’inutilité de leurs efforts!), la censure réapparaît toujours d’une manière ou d’une autre dans les pratiques culturelles des différents groupes sociaux. Le problème n’est pas la censure « officielle » en tant que tel, mais ce qui est vraiment permis d’être dit. La Sûreté censure ici et là mais sait que tout citoyen de base voit des films avec du sexe et des juifs quand il veut. En somme, la Sûreté a un but purement performatif. Par contre, la vraie censure, la sournoise, c’est celle que tout le monde pratique tous les jours pour se cacher de ses propres saletés.

4 réflexions sur “La censure de l’Orient Littéraire

  1. Ce torchon fait gerber. Il suffit de voir comment ils essaient de défendre le maffieux criminel Antoun Sehnaoui.
    Imaginez un peu qu’est-ce qu’ils auraient dit, ces plumitifs, si c’était un chiite qui avait fait un carnage dans une boîte de nuit…

  2. pas faux.. Mais faudrait plus qu’un blog pour les contrer.. Au final, bp de jeunes lisent ce journal et y’a pas de parade à ce stade !

  3. Puisque c’est un torchon, pourquoi lui accorder une telle importance? Laissez-le donc brûler puisque tel est son destin selon vos sombres auspices. Il est clair que ce quotidien vous rend malade à « gerber ». Crachez donc ce vomi qui vous brûle l’oesophage ! Et n’oubliez surtout pas de vous rincer la bouche après. Ce vomi est recyclable, vous êtes vraiment mal barrés.
    Alors, bonne continuation, mais à distiller votre vulgaire venin dans un cercle aussi restreint, vous ne pouvez qu’imploser. Ca donnera à voir quelques pétarades (mouillées) malodorantes et puis basta. Rien de bien méchant en somme.

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